AGATHE IDALIE
A propos de ma toile « PRESENCES » (2024)
« Il ne suffit pas de naître; encore faut-il construire sa naissance au monde. Il ne suffit pas d’avoir reçu la vie; encore faut-il se la donner…» Paul-Claude Racamier
M’étant lancée dans l’habitation de ces deux toiles de grand format destinées à l’exposition de l’ASPA 2024 à la Chapelle de l’Oratoire, j’ ai été surprise, après un démarrage dans l’esprit de l’« abstraction lyrique », de voir mon travail bifurquer vers l’iconographie orthodoxe et de me retrouver comme convoquée dans une scène d’Annonciation.
L’art est spiritualité aussitôt qu’il s’enracine dans la nécessité vécue de se relier à ses profondeurs,- son âme- et d’en faire un objet/ sujet de métamorphoses, que le parti pris soit abstrait ou figuratif – chez moi les deux s’entremêlent allègrement-. Je n’avais donc pas d’ intention religieuse. Mais il s’est agi pour moi d’annoncer : d’incarner un événement, heureux parce que vital , celui d’ advenir à soi au-delà de la seule naissance. C’est mon thème principal, ce qui guide ma peinture et la rend vivante. Mettre en scène les conditions de cet avènement.
Ma peinture est depuis une vingtaine d’années un mode d’accès privilégié à des espaces intérieurs : je les accueille, les laisse croître, évoluer sur la toile que je conçois comme une aire de révélations. Je cherche la configuration la plus juste des enjeux du moment, qui deviendra une œuvre, un espace à partager, car ce qui est le plus intime est aussi le plus universel..
Mon icône me renvoie à mes origines russo-roumaines judéo- orthodoxes, à des cultures et des mémoires dont la richesse ne vaut que si l’on s’autorise à en jouer plutôt que de s’y soumettre, à les réveiller plutôt que les célébrer : tel est le secret de ce tableau.
Je me suis approprié les figures consacrées de l’ange Gabriel et de la Vierge Marie pour les faire participer à une scénographie personnelle, y introduire de l’étranger / de l’étrange : non pour subvertir le message mais pour permettre à ma vision de s’ incarner. S’extraire de l’imagerie comme d’un album trop connu pour y risquer une version inédite. Avec la part du mystère qui me dépasse quand je peins. Ainsi la Vierge semble déjà porteuse d’un enfant incomplet, et un personnage central s’est immiscé, ombre siamoise prenant lentement son autonomie en s’extrayant du corps de la « mère » pour occuper son propre espace, individué.
C’est l’histoire d’une naissance, d’une venue à la lumière ; les trois lettres hébraïques du mot OR – aleph, vav ,resh – calligraphiées semblent palpiter sur la toile. C’est l’histoire d’une émancipation, d’une incarnation : l’histoire de chacun construisant sa naissance au monde – comme l’indique P. C. Racamier dans la citation placée en exergue- , et venant occuper sa place.
Ce pourrait être le trajet de l’ artiste se dégageant des formes et codes antérieurs pour faire advenir son propre langage, « se faire venir au monde » : nouvelle aventure à chaque oeuvre remise sur le métier . A la condition d’allier ses forces créatives à l’indispensable habitation spirituelle qui fait qu’une œuvre n’est pas un décor mais une présence.